Corgnac : émeute frumentaire et économie morale de la foule (octobre 1789)

A CORGNAC Emeute frumentaire et « économie morale de la foule » (8/10/89) ADD B 834

 

          La paroisse de Corgnac , proche de Thiviers,  réapparaît à plusieurs reprises dans la période 1789-90. Une affaire frumentaire en octobre est suivie d’affrontements autour de la troupe patriotique dont un certain Duverdier, chirurgien a obtenu le commandement. On y voit aussi  Debregeas, patronyme appelé à une certaine célébrité dans la justice révolutionnaire locale.

          La troupe patriotique n’était pas encore formée vraisemblablement quand se produisit un événement caractéristique de cette époque : l’émeute frumentaire. Les décrets d’août avaient rétabli la libre circulation des grains et tous types de négociations (voir à ce sujet les chapitres 6 et 7). On sait que le 16 août le Conseil des communes s’était aussi prononcé pour .

         Or, comme au printemps, la libre circulation des grains conduit à des transactions suspectées par le public de faire monter les prix : les négociants qui les acquièrent dans des transactions privées , dans les greniers des particuliers, sont censés réaliser ainsi des bénéfices frauduleux , à provoquer la désertion des marchés où l’on vend par pêtites quantités au vu de tous,et ainsi favoriser la disette à un moment où les mauvaises récoltes ont raréfié le grain. D’où les réactions que peuvent susciter les convois de blé.

         ON peut considérer aussi que le vide politique favorise ces tentatives populaires pour détourner ces convois, la faim légitimant ces attitudes comme le montrent les témoignages.

 

La maréchaussée sur les lieux du délit

         Ceux-ci sont recueillis par la maréchaussée de Thiviers  qui intervient non sur réquisition mais dans le cadre normal de ses tournées et témoigne donc des événements. Un marchand et sa cargaison assaillis par les habitants de Corgnac   qui selon CHAMBON, l’un des deux cavaliers  cavalier de la Maréchaussée « crièrent tous ensemble qu’ils voulaient le blé, qu’ils voulaient le partager au prix que lui l’avait acheté ». Notons bien dès le départ qu’il ne s’agit pas de dérober le grain mais de l’obtenir à un prix normal c'est-à-dire sans majoration du marchand. La maréchaussée, aux dire même des cavaliers se contenta du service minimum. Aux habitants de Corgnac, elle rappela les lois en vigueur sur la circulation des grains qui autorisait Lavaud à faire négoce et transport. Ce à quoi les habitants rétorquèrent aux cavaliers qu’ils « étaient de Thiviers et ne valaient pas plus que les autres qu’ils se foutaient  de nous et que nous ferions bien de nous retirer ». Un tel comportement aurait pu coûter cher à ceux qui tenaient ces propos « ns avons pris le parti de nous retirer » précise seulement Chambon. En somme la maréchaussée défendait mollement un nouvel ordre frumentaire qu’elle réprouvait (cf chapitre 6)

       Cette affaire donna lieu à plainte. Celle-ci permet de confronter les protagonistes et leurs arguments

 

2-Un marchand boulanger en action

         Le personnage principal est le marchand  boulanger  Lavaud : sa fonction le conduit à l’achat de blé pour fabriquer du pain mais aussi pour en faire le négoce. A la limite, la première activité peut couvrir la seconde ! Dans sa version des faits il justifie ses achats »la ville de Thiviers éprouvant une disette de grains et que son marché était totalement abandonné, dans le désir d’en prévenir les conséquences fâcheuses qui peuvent en résulter et d’être utile a ses concitoyens, il aurait acheté du Sieur Saint Pierre habitant Mayac et du sieur Saint-Jean habitant Coulaures, 30 quartes de froment et onze de méture pour être conduit à Thiviers »

 

3-l’affrontement avec les habitants deCOrgnac

 Puis il décrit l’affrontement «  En passant à Corgnac, le 8 , il vit avec surprise une quarantaine  de personnes s’armer de bâtons et de fusils à la tête desquels  était le nommé Duverdier, chirurgien, Jean bayle, menuisier, Beyli, praticien, Antoine Desveaux dit la flèche, lesquels ont arrêté le supplient et se sont opposés à ce que son blé ne sortît de Corgnac et voulaient même lui faire payer amende. C’est en vain que le suppliant leur a représenté que ce blé était destiné pour être vendu au marché de Thiviers ou employé à faire du pain dans cette ville où les habitants de Corgnac viennent s’approvisionner. C’est encore en vain qu’il leur a représenté que leur conduite était contraire aux décrets de l’Assemblée Nationale…Il lui a été impossible de se faire délivrer son blé toujours retenu par les susnommés. »

   Notons seulement la composition du groupe qui  bloque le convoi : il appartient de manière caractéristique au « groupe intermédiaire » tel que nous l’avons défini dans l’étude des cahiers de doléances (chapitre 4) : un chirurgien leader que nous retrouverons ensuite comme chef de la troupe patriotique, un artisan, un praticien ou clerc.

 

4-l’intervention d’un notable

              C’est dans ces circonstances que l’on voit intervenir Jacques de BREGEAT, Seigneur de Salevet, 50 ans. Noble pas forcément. Au moins un bourgeois détenteur d’une seigneurie. Lorsqu’il est arrivé, le blé avait déjà été enlevé. Notons la manière dont il prend la défenses de ses tenanciers en détresse , dressant un tableau dramatique de leur situation. Il décrit «  l’attroupement entourant une charrette vide, attelée à 2 bœufs, lequel attroupement était composé d’hommes de femmes et d’enfants qui criaient miséricorde, pleuraient en disant qu’ils mouraient de faim, disaient qu’ils aimaient autant qu’on les tue que de leur enlever le blé ; »

     Notons que ces propos sont aussi tenus  par un jeune bourgeois probablement séminariste (il est clerc tonsuré) Debrégeas, , 23 ans qui montre les femmes, comme c’est toujours le cas, au premier plan de la scène frumentaire « se lamentant et pleurant, disant qu’il fallait mourir de faim puisqu’on leur refusait du pain à Thiviers, qu’il fallait la justice pour savoir si on ne pourrait retenir ce blé, vu que l’on mangeait aussi du pain et qu’il fallait requérir la justice

 

    Bien dans son rôle « paternaliste » de Brégeat  intervient donc en leur faveur et  « sur cela il dit de le laisser à ces particuliers, ».Le marchand dans un premier temps accepte si on lui concède «   5 sols de profit par quarte et le leur délivrerait ». Bénéfice exagéré selon le seigneur qui obtient vite gain de cause . Qu’après quelques représentations que fit le déposant audit plaignant, il consentit à le leur laisser au prix qu’il lui avait coûté « . L’affaire paraissant réglée on écarta les femmes ( que lui déposant ayant dit aux femmes « sauvez-vous »)  et l’on engage la négociation »,

 

5-Une négociation qui tourne court

    Poursuivant son récit, de Brégeat décrit l’échange entre le vendeurs et les meneurs de l’attroupement : ils entrèrent chez l’oncle du plaignant ou ledit blé avait été déchargé, qu’ayant ledit plaignant ouvert les sacs lui-même et fait voir le blé au peuple, il leur dit qu’il lui coûtait 6L la quarte « 

     Mais la méfiance est de règle : les  représentants des habitants trouvent le prix excessif et veulent vérifier«  dirent qu’ils voulaient voir le vendeur pour savoir le prix, que les même personnes aussi offrirent de déposer l’argent pour leur être remis le surplus s’il n’avait pas coûté 6 francs ».

   Refus du négociant : les vendeurs ? Il a donné des noms  très suspects (le Sieur Saint Pierre et le Sieur Saint-Jean) . Quant au prix…Alors ledit Lavaud dit qu’il ne voulait pas, qu’il cacheta les sacs, que le nommé Duverdier lui prêta la cire et que c’est à ce moment là que les cavaliers arrivèrent ». Notons que Duverdier agit en toute honnêteté : il participe lui-même à clore les sacs pour garantir les intérêts du boulanger. Mais les sacs resteront tant qu’une négociation dont tous les éléments seront éclairés ne sera pas conduite à son terme. Un tel comportement illustre l’idée d’ « économie morale de la foule » développée notamment par l’historien anglais EP Thompson : loin de se livrer à des exactions, le peuple ne réclame au contraire que le recours aux principes qui fondent le droit des gens et celui des plus démunis à se procurer la subsistance à un prix juste.

 

6-Un épilogue provisoire

 

     ON voit alors intervenir le père du marchand boulanger. Lavaud père aurait conseillé » à son fils de laisser le blé au prix coûtant. »vu le besoin pressant du peuple ».Le même aurait dit aux cavaliers de la Maréchaussée » qu’il le dise au nommé Lavaud de revenir le lendemain  chercher son argent qu’on le lui comptait. Sauf qu nous ne savons pas quel était le fameux prix coûtant.

    Seule chose sûre :Lavaud porta plainte et une instruction fut menée par l’assesseur en la maréchaussée, ce qui nous vaut ces documents.

 



04/02/2012

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