Sarlat: la confédération sarladaise (novembre 1789)

 

LES VILLES DU SARLADAIS FACE AUX MENACES DES CAMPAGNES: LA CONFEDERATION (novembre 1789)


    La situation géopolitique du Périgord évolue sensiblement au mois de novembre 1789. D’un côté, en effet, à Périgueux, Pipaud des Granges tente de donner un nouvel élan au Conseil des communes .D’une part en faisant participer à l’exécutif des villes comme Agonac ou Brantôme, désormais associées aux décisions. D’autre part un nouvel appel fondé sur les réussites des mois précédents (voir Périgueux) conduit les communes membres à de nouveaux engagements.

      En Sarladais, on arrive au terme du processus entamé en septembre lors de l’échec de Périgueux à rassembler autour d’elle les trois sénéchaussées pour envoyer à  l’Assemblée Nationale un député pour défendre la restauration des états du Périgord et d’un tribunal qui lui fût propre. L’idée de la construction d’une structure rassemblant face à Périgueux l’Election de Sarlat ou au moins sa sénéchaussée s’est concrétisée à travers des négociations entre les villes que nous avions déjà vu participer au mouvement de novembre 1788. On peut ainsi déboucher sur ce que nous étudions au chapitre 10,p 257, la confédération dont nous reproduisons ici le texte imprimé. Il concerne indique le préambule 14 unités  dont 4 seulement méritent le titre de ville au sens démographiques. Les autres sont des bourgs, voire des villages mais dont les murs témoignent d’un statut juridique particulier.

       On constate bien, dès le 2°paragraphe que la démarche est de caractère conservatoire, dicté par le sentiment de la montée de l’insécurité. De celle-ci, nous avons des échos isolés notamment autour de Salignac avec les prémices de l’attaque de la Faurie. Quant à évoquer une « licence effrénée… ». le conservatisme de la démarche transparaît aussi que les désordres, ce sont autant de journées perdues dans un Périgord déjà bien pauvre. Troisième élément politique central : la question des grains : les désordres sont fauteurs de disette, elle-même cause de cherté laquelle  risque de provoquer les récriminations contre le pain cher et le désordre.

    D’où la réponse : l’alliance fraternelle pour préserver l »ordre.On est évidemment ici dans une approche qui doit beaucoup à Maleville et a l’imprégnation maçonnique élément  très important dans la vie politique de la province en Révolution .

     L’élection de Mgr Ponte d’Albaret comme président montre le grand écart politique entre les deux évêques du Périgord : là où, entrainé par ses positions  « aristocratiques » Mgr Grossoles de Flamarens a quitté le Périgord sur lequel il déverse son mépris, l’évêque de Sarlat est au cœur du mouvement patriote modéré. Il a déjà été nommé président de la structure municipale sarladaise de l’après juillet, La Chambre électorale. Le voici à la tête de la confédération assisté de l’un de ses prêtres et d’un patriote libéral Queyraud  qui se montrera très modéré au moment des crises de janvier-Février. Il est surtout un adversaire farouche de la maréchaussée et de ses méthodes de justice expéditive appuyées sur le décret du 14 août. Il reste que si Maleville n’apparaît pas au premier rang, si on a barré du texte imprimé (probablement sous son contrôle) la référence à Domme, il ne devait cesser de souligner combien il avait œuvré à la formation de cette confédération dès lors que les destins de Périgueux et Sarlat se séparaient si manifestement.

     Les six premiers articles ne font rien d’autres d’ailleurs que de venir au secours de la légalité menacée  du fait l’inaudibilité de l’Assemblée nationale  par des paysans  qui par défaut de raison ou sens de leurs intérêts bien compris se réfèrent à une approche des nouveaux texte inquiétante  (voir la question des droits seigneuriaux).

Les articles 7 à 12 proposent une structuration voire un quadrillage de l’espace. Démarche ici tout opposée à celle de Pipaud telle qu’il l’avait proposée le 7 août et qui reposait sur le principe que de fait toutes les paroisses du Périgord devaient se doter des institutions qui en feraient des communes (comité et garde nationale) le Conseil permanent des communes du Périgord étant de fait l’organe central de la confédération. On notera ici comment le système pyramidal sourient une structure qui donne a chaque membre un territoire pour négocier l’entrée des communes dans la structure.

A partir de l’article 13 se définissent les modes d’action avec une préoccupation prioritaire absolue :le contrôle de l’information et des mots d’ordres : il s’agit absolument d’éviter que ne s’installe avec le tourbillon de la rumeur un mouvement incontrôlable comme celui qu’a provoqué la Grande Peur, même si elle semble avoir eu moins d’importance en Sarladais. Si les articles 13 à 16 indiquent les précautions, le 17 annonce clairement la répression contre les menées de ce type

Confédération de la Sénéchaussée de Sarlat

Aujourd’hui huit novembre 1789, dans l’hôtel commun de la ville de Sarlat, les députés des villes et communautés de Sarlat, Domme, Belvès, Montignac, Salignac, Villefranche, Montpazier, Terrasson, Saint-Cyprien, Lanquais, Beaumont, Molières, Cadouin et Biron, convoqués par lettres circulaires pour délibérer sur le projet, présenté par la ville de Domme (effacé), après avoir été préalablement élus par leur communauté respectives, suivant les procès-verbaux portant leurs pouvoirs

    Considérant l’espèce d’anarchie  ou se trouve maintenant le Royaume et les suites funestes qu’elle a eues dans les différentes provinces, l’insuffisance momentanée du pouvoir exécutif et le silence forcé des Loix.

Considérant la licence effrénée qui règne en quelques endroits parmi le peuple, serait capable de faire regretter le despotisme même et de détourner les bons citoyens des efforts qu’ils se proposent de faire pour parvenir à la liberté politique et civile.

 Considérant que cette anarchie serait surtout funeste à une province pauvre, stérile dans sa plus grande partie, sans commerce, et dont les habitants, presque tous agricoles, ne peuvent subsister qu’à force de travail ; que c’est dans un tel pays que les journées perdues et employées par le peuple à vagabonder, sont surtout à plaindre, et doivent hâter la disette et la cherté des grains, avec tous les maux qui en sont inséparables. 

Considérant que par une erreur grossière, et par l’interprétation la plus étrange des décrets de l’Assemblée Nationale , une partie du peuple se croit libérée des impôts sans lesquels l’Etat ne peut subsister, et la partie (sans doute la patrie ?) serait dissoute ; qu’il est de la plus urgente nécessité de l’éclairer sur ses erreurs, de prévenir ou d’étouffer ses insurrections ou ses émeutes.

Considérant qu’il n’est pas moins instant de déconcerter les projets des ennemis secrets de la patrie, et de les détourner par l’appareil imposant de ses forces unies, de l’idée même de toute conjuration et de tout complot, qui ne pourraient visiblement aboutir qu’à leur ruine totale

Considérant qu’il n’est qu’une Confédération patriotique qui puisse procurer des biens si désirables, et maintenir la tranquillité publique.

C’est d’après ces motif que les   délibérants déjà liés par beaucoup de rapports, ont résolu de former une union plus étroite encore, une société vraiment fraternelle et dont l’objet doit être la défense de leurs intérêts communs, autant qu’ils se rapportent au bien de la patrie.

En conséquence, ils ont commencé par l’élection d’un Président et de deux secrétaires. Mgr l’évêque de  Sarlat a été nommé  président ; et MM Gueyraud et Andan, prêtre ont été choisis pour secrétaires

Ensuite ils ont délibéré et arrêté les articles suivants

1°ils useront de tous les moyens qui seront en leur pouvoir pour maintenir la paix, le bon ordre et l’exécution des Lois.

2°Ils protègeront de toutes leurs forces la liberté et les propriétés des citoyens, sans distinctions de rangs ni de personnes.
3°Ils feront tous leurs efforts pour prévenir et arrêter les séditions et les brigandages et en arrêter les auteurs, fauteurs et complices, et en procurer la punition, selon les formes déjà établies

4°Ils s’attacheront à éclairer le peuple sur la sagesse des décrets de l’Assemblée Nationale, que les ennemis du bien public pourraient  à calomnier et tâcher de rendre suspects.

5°Ils exhorteront les habitants, tant des villes que des campagnes à payer les impôts et ils s’efforceront d’en procurer la rentrée le plus tôt possible.

6°Ils se conformeront scrupuleusement aux ordres du Roi, rendus en conséquence de l’Assemblée nationale, pour entretenir la libre circulation des grains, approvisionner les marchés publics ; assurer la subsistance des citoyens, et prévenir les accaparements et monopoles, l’exécution de cet article étant un des principaux objets de la confédération.

7°IL sera incessamment avisé aux moyens les plus efficaces de porter des secours à l’indigence.

8°Chacune des villes et communautés confédérées invitera  fraternellement toutes les paroisses de son   arrondissement, et donc elle est, par sa position naturelle, le chef-lieu, d’entrer dans cette association ; et il leur sera envoyé copie des présents articles.

9° Chaque paroisse prendra une délibération écrite à ce sujet, et enverra à la municipalité voisine des députés pris indistinctement dans tous les rangs, pour souscrire à la confédération.

10° Toutes les communautés confédérées seront divisées en treize district, chacune ayant pour chef lieu de son arrondissement celles des municipalités présentement délibérantes, dont elle sera la plus voisine. Molières et Cadouin demeureront unis et n’auront ensemble qu’un district jusqu’à ce que, sur des renseignements plus exacts, il en ait été autrement statué.

11°Chacun de ces districts enverra deux députés aux assemblées de la confédération ; il s’il en est qui jugent à propos de ne se faire représenter que par un député, sa voix sera comptée pour deux dans la députation

12° chaque ville et communauté de paroisse choisira des personnes capables pour entretenir entre elles une correspondance intime ; et les noms et domiciles de ces correspondants seront communiqués à tous les lieux de l’association.

13° Pour prévenir les fausses alarmes, les frais et les peines des déplacements inutiles, et la perte de temps toujours si précieux pour les cultivateurs, il est arrêté qu’aucune ville ou paroisse ne se déplacera, pour quelque bruit ou rumeur que ce soit, sans un avis signé d’au moins un correspondant, et muni du sceau de la confédération.

14° La confédération aura en conséquence un cachet commune sur lequel seront gravées deux mains unies et croisées, avec deux branches d’olivier en sautoir pour l’ornement du contour portant cette légende :Confédération de la Sénéchaussée de Sarlat. Toutes les adresses, dépêches et circulaires de la confédération seront munies de ce sceau, sans qu’on puisse avoir aucun égard à celles qui seront différemment cachetées.

15° Dans le cas qu’une paroisse de la confédération se crut obligée de requérir des secours, elle s’adressera directement à la municipalité, chef-lieu de son district, qui prendra les moyens convenables à l’importance et à l’exigeance (sic) du cas ; et si cette municipalité ne se croyait pas en état d’arrêter le désordre , ou qu’elle-même eût besoin de secours, soit pour étouffer des émeutes, soit pour protéger la libre circulation des grains, dissiper quelque conjuration ou pour tout autre cause, dans ce cas, et sur sa réquisition, chaque district sera obligé d’envoyer à ses frais un nombre d’hommes de bonne volonté proportionné à ses forces et à l’importance de l’objet ; et, en conséquence, il se procurera incessamment tous les équipements nécessaires pour armer la compagnie qu’il pourra mettre sur pied.
16- les détachements réunis sur les lieux où leur présence sera nécessaire, seront commandés par l’officier de troupe du district qui aura réclamé du secours.

17° Tout porteur d’alarmes, bruits et nouvelles de dangers, pour faire armer ou déplacer les villes et paroisses, sera saisi et arrêté comme auteur des troubles, s’il n’est muni d’un arrêt visé et scellé de la manière présente en l’article 13.

18.pour prévenir ou appeser (sic) toutes scissions dans les villes ou communautés de la confédération capables d’y  exciter les troubles, l’assemblée a arrêté de former un comité de onze personnes, qu’elle autorise à prendre connaissance des dites scissions , à engager les parties dissidentes à convenir d’arbitres, si mieux elles n’aiment se soumettre à la médiation des commissaires mêmes, et ayant procédé par la voie du scrutin à la nomination desdits commissaires, M le Président et M maleville,Saint-Hilaire, Lafage, Laplaine, Matias, Laopalisse, Laporte, Mournaud, Meyrignac et Gueyraud se sont trouvés élus

19° La présente confédération invitera les autres villes de la province à s’unir à elle, pour remplir avec plus d’efficacité les vues patriotiques qui l’animent, elle invitera toutes les villes et même du royaume a former entre elles des associations pareilles qui se correspondent de toutes parts.

20°Le présent traité de confédération aura lieu pour le bon plaisir de l’Assemblée Nationale et du Roi.

21. Il sera rendu public par la voie de l’impression

22. l’Assemblée ayant pris la voie du sort pour régler l’ordre successif des différentes municipalités dont elle est composé, il s’est trouvé que la première assemblée devait se tenir à Domme le second dimanche du mois de décembre ; la seconde à Ville franche et successivement par ordre à Beaumon  ,Salagnac, StCyprien, Sarlat, Montignac, Terrasson , Belvès, Monpazier, Molières ou Cadouin, Lanquais et Biron

Fait et annoncé le jour mois et an, et au lieu ci-dessus ennoncés

Signé + Joqs.An.L, Evêque de Sarlat, Président . Selves,député de Sarlat,JB Gueyraud, dépité de Sarlat, Pontard, curé et député de Sarlat,Boir de Meyrignac ,Député de Sarlat ; Borie du Cambort député de Sarlat, Grèze de Talazal, Taillefer, Sarlat, Bonneri, députés de Domme ; Lapalisse, Saint-Hilair  ,Dejean de Fonroque, Vigier aîné,députés de Belvès ; Lavergne, Vaquier de Lamoth , Lacroix  députés de Saint Cyprien ; Sypierre, Manière, adjoint des députés de Domme ; Goudour de Beaulieu,adjoint des députés de Sarlat, Chassatel, député de Lanquais, Laporte, député de Villefranche ; Mournaud, Laborderie de Boulou , députés de Montignac ; Chaudru de Laferrière, Mandegou de Lavigerie députés de Salagnac ; Lapleine de Rouquet, Lafage de Lagrèze députés de Monpazier ; Bureau,Monzie  députés de Cadouin ; Hugonie, Marang,députés de Biron ; Laroque de Belerd,député de Beaumont ;Matasse, de la Fustière ,députés de Molières.

Par mandement de la confédération, Gueyraud, Andan, secrétaires

________________________________________________________________________________

A Sarlat, de l’imprimerie J.B. Robin Imprimeur de la Nation et de la Chambre Electorale

 

Au total un dispositif très structuré. Il devait être mis à l’épreuve de manière particulière par les événements de l’hiver. On peut à se sujet interpréter la situation de deux manières différentes

-Considérer une certaine efficacité du système qui aurait limité l’ampleur du mouvement du fait des interventions de Sarlat, Domme ou Belvès. Mais on ne peut aussi s’empêcher de remarquer que plusieurs des villes ont  sinon été submergées du moins la proie de ces mouvements : ai si de Salignac bien sûr mais aussi du Buisson ou de Lanquais.

On peut aussi de demander si le luxe de précautions ainsi pris n’a pas donné au campagne un sentiment d’isolement qui a pu accélérer leur volonté de prendre en main leur destin. Les réponses dépendent beaucoup de l’ampleur estimée du mouvement. On notera d’ailleurs que les affrontements ont été fort limités : Belvès est intervenu pour arrêter des isolés : Sarlat a négocié avec le mouvement et pour Domme, Maleville souligne combien on a exagéré l’ampleur du mouvement : comme pour les interventions militaires ou de la maréchaussée, l’intervention s’est faite le mouvement terminé et à surtout visé à ramener l’ordre en même temps que les municipales en s’attaquant à l’emblème de la libération paysanne , le mai. IL y a fort a parier que si l’Assemblée n’avait, à la demande de Foucauld voulut exiger les arrérages des rentes on serait allé vers l’apaisement. Le choix contraire a conduit à  des procédures qui dès avril ont replacé les ruraux face à des échéances qu’ils ne pouvaient ni ne voulaient payer : la Révolution était passée par là et exiger ces paiement désormais appartenant à un passé révolu c’était la nier. On a aussi, ici, une bases de la contre-révolution.



23/01/2012

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 8 autres membres